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INTRODUCTION.

eux-mêmes. Ses épouvantables suites jetèrent la consternation dans la paroisse du poëte : témoin de l’événement, il en fit une ballade « pour l’enseignement de chacun, » comme il nous le dit lui-même; et son œuvre produisit un effet tellement salutaire que le nombre des habitués de taverne parut avoir diminué dans le canton qu’il habitait.

Je pourrais citer mille autres exemples de l’utilité pratique de notre poésie populaire. On sait qu’à l’époque où le choléra désolait la Bretagne, les médecins et l’autorité n’obtenant aucun résultat de leurs circulaires imprimées, un vieux libraire mit avec assez de succès en rimes l’exposé des remèdes propres à guérir de la maladie ; ses vers étaient cependant détestables; les paysans eux-mêmes les jugeaient tels ; « au fond, peu importe, me faisait observer naïvement l’un d’eux, l’essentiel était que le choléra fût chansonné; il l’est : la chanson le fera fuir. » Bizarre superstition, sans doute, mais qui montre bien quel pouvoir le peuple attribue à la poésie. De là le proverbe breton : « La poésie est plus forte que les trois choses les plus fortes : le mal, le feu et la tempête. » C’est qu’en effet le poëte a des chants pour calmer toutes les douleurs : si la contagion a fait des orphelins; si l’incendie a dévoré le toit d’un pauvre laboureur, si la barque de quelque pêcheur a sombré, il va, de village en village, suivi des victimes du désastre, quêter pour elles, en chantant leurs malheurs. Depuis longtemps les hommes éclairés de la Bretagne ont vu le parti qu’on pouvait tirer pour l’amélioration du peuple de ce puissant levier moral ; le clergé et l’administration ont souvent appelé à leur aide l’enseignement par la chanson.

Son importance devait aussi, tôt au tard, frapper les hommes d’État auxquels est confiée l’instruction publique en France. Il était réservé à un ministre dont l’esprit élevé saisissait et exécutait vite ce qui pouvait contribuer aux progrès des saines doctrines de prendre l’initiative. En publiant un ar-