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LEZ-BREIZ.

pour qu’il n’appartienne pas à l’histoire. Son titre de marc’hek (chevalier), souvent répété dans la pièce et commun à Lez-Breiz lui-même, ne serait pas une raison de douter du fait ; car on le trouve employé dans des actes contemporains[1], et il doit être pris uniquement dans le sens d’homme de cheval, et non de preux. Si l’on hésitait à le croire, la couleur blanche du bouclier que le poète breton fait porter, selon un usage du neuvième siècle, constaté par Ermold le Noir, à un des chevaliers qu’il nomme, trancherait toute difficulté[2]

Parmi les faits historiques qui ont simplement servi de point de départ aux inventions populaires, j’indique la disparition du corps de Morvan, enlevé par les Franks ; les rapports qu’il eut après sa mort avec le moine Witchar, et sa sépulture, dont l’empereur Louis crut devoir régler lui-même le cérémonial, sans doute afin de dérober sa tombe à la piété rebelle des Bretons. Ceux-ci, les plus superstitieux du moins, s’imaginèrent aisément que, si leur défenseur avait été rappelé à la vie par le moine frank, comme le bruit en courait, il n’avait pu l’obtenir de lui qu’à des conditions aussi dures que celles auxquelles la famille de Morvan et eux- mêmes la recevaient du vainqueur. Ils supposèrent donc qu’il était retenu captif par le moine dans quelque retraite écartée où il subissait une pénitence très-rude, à laquelle il se soumettait, comme eux-mêmes se soumettaient à la loi de leurs conquérants. Mais, au milieu de leurs humiliations et de leurs souffrances, qu’ils lui faisaient partager avec eux en se personnifiant en lui, ils ne perdirent pas l’espoir. De même qu’ils croyaient au retour d’Arthur, mort en défendant son pays contre les Saxons, ils crurent que la servitude de Lez-Breiz, comme la leur, aurait un terme, et qu’il reviendrait se mettre à leur tête pour expulser les Franks. De là les recherches entreprises par son écuyer, dans le poëme populaire, et la découverte du souterrain où il dort : de là son prochain réveil, et le cri de guerre qu’il va pousser, après sept ans de servitude et de silence, c’est-à-dire, chose bien remarquable ! précisément sept ans après la mort de Lez-Breiz et la soumission de la Bretagne (818), l’année même (825) où un autre vicomte de Léon, Gwiomarc’h, nouveau soutien des Bretons, nouveau Lez-Breiz, appelant son pays aux armes, recommença plus vivement que jamais la guerre contre l’étranger.

Le poëme, dont cette importante circonstance fixerait l’inspiration première au moment où l’insurrection éclata, jouit à son apparition d’une telle popularité, qu’une partie passa dans le pays de Galles. Chanté d’abord, comme en Bretagne, il fut, avec le temps, remanié en prose par les Bretons d’outre-mer, et nous en retrouvons le début sous cette forme dans un de leurs contes nationaux, écrit avant le douzième siècle; mais la poésie, la naïveté, les détails charmants de l’original, l’allure même, si dramatique et si leste, ont disparu dans une sorte de résumé sans vie. J’ai déjà eu occasion de le remarquer ailleurs, cette dégradation est moins l’œuvre du temps que du changement de pays, car la tradition est encore vivante et fleurie de ce côté-ci du détroit, où elle a de profondes racines dans les souvenirs nationaux. L’absence de raci-

  1. Brezel-Marc'hok testis. (Cartuloa. roton. ad ann. 860. D. Morice, t. I, col. 304. Cf. de Courson.
  2. {{lang|la|Scuta candida. (Ermoldus, ibid., p. 42.)