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SUBMERSION DE LA VILLE D’IS

Les marins gallois de la baie de Cardigan, qui occupe aujourd’hui, assure-t-on, le territoire submergé, prétendent voir, sous les eaux, des ruines d’anciens édifices; ceux de la baie de Douarnenez, en basse Bretagne, ont la même prétention. « Il se trouve encore aujourd’hui, disait, au seizième siècle, le chanoine Morcau, des personnes anciennes qui osen bien asseurer qu’aux basses marées, estant à la pesche, y avoir souvent vu des vieilles maseures de murailles[1]. »

Enfin, selon Giraud de Barry, les pêcheurs irlandais du douzième siècle, croyaient voir briller, sous les eaux du lac qui recouvre leur ville engloutie, les tours rondes des anciens jours.

Ainsi, dit poétiquement Thomas Moore, « dans ses songes sublimes, la mémoire souvent surprend un rayon du passé; ainsi, soupirant, elle admire, à travers les vagues du temps, les gloires évanouies qu’i couvre. »

Parmi les traditions relatives à Gradlon en particulier, il en est une de nature à éclaircir certains points du poëme; elle nous a été conservée par un des plus charmants trouvères du treizième siècle, et regarde le fidèle coursier du roi. Marie de France assure qu’en fuyant à la nage, il perdit son maître, dont une bonne fée sauva la vie, et qu’il devint sauvage de chagrin : les Bretons, ajoute-t-elle, mirent en complainte l’épisode du cheval et du cavalier :

Graalon pas ne s’oublia.
Son blanc cheval fit amener.
............................
En l’eau entre tout à cheval.
L’onde l’emporte contre val;
Départi l’a de son destrier,
Graalon fut près de noyer.
.........................
La damoiselle (la fée) en eut pitié
Par les flancs saisit son ami,
Si l’en amène ensemble od li (avec elle).
.........................
Son destrier qui d’eau échappa
Pour son seigneur grand deuil mena.
En la foret fit son retour.
Ne fut en paix ni nuit ni jour;
Des pieds grata, fortment hennit,
Par la contrée fut oui.
Prendre cuident (le veulent) et retenir;
Oncques nul d’eux ne l’ put saisir.
U ne voulait nului (personne) atendre,
Nul ne le put lacier ni prendre.
Moult longtemps après ouït-on.
Chacun an, en cette saison
Que son sire partit de lui,
La noise et la friente (hennissement) et le cri
Que le bon cheval démenait
Pour son sire que perdu avait,
L’aventure du bon destrier,

  1. Histoire de la Ligue en Bretagne, p. 10.