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LE SYMBOLISME

des rêves réalisés où s’incarne gracieusement une idéalité surnaturelle.

Le style de Villiers est en harmonie intime avec ce symbolisme philosophique. Il est difficile d’expliquer clairement à des intelligences moyennes les secrets de l’invisible. Il est à peu près impossible de rendre dans la forme étroite et précise des réalistes les mystères que l’écrivain lui-même perçoit plus par l’intuition que par la raison. Pour évoquer le divin et exprimer l’insaisissable, Villiers use du procédé suggestif. Par le choix des termes et l’harmonie de la période, il fait entendre plus qu’il ne dit ; il fait voir au delà de ce qu’il représente. Le romantique cherchait l’épithète, le naturaliste le détail, l’impressionniste le pittoresque, Villiers s’attache à l’abstraction. Il établit entre les mots des rapports inattendus qui resserrent la pensée et laissent transparaître derrière l’idée saisie l’infini qu’il n’exprime pas. Il écrira par exemple « l’âme des belles nuits » pous évoquer cette sérénité magnifique dont le cœur est appréhendé durant les nuits étoilées de l’été. Il dira « le prodige de cette fleur » pour caractériser, par cette cohésion d’un terme abstrait et d’un terme concret, les mille aperçus curieux qu’éveille dans l’esprit l’analyse de cette chose vivante, une fleur ! Il n’y a pas chez lui de paysages à la manière des écrivains de la génération précédente ; pas de ciels largement brossés, pas de digressions sur la nature ou sur la beauté du monde extérieur. Il est peintre sans doute, mais peintre rationaliste. Il indique le paysage ; il ne commente pas, et c’est un trait curieux à noter chez cet adversaire du classicisme, il n’a, au fond, pas d’autre procédé descriptif que La Fontaine. À la lire attentivement, la phrase de Villiers est grosse de beautés accidentelles. À côté du sens général qu’elle comporte, il y a une infinité de petits sens adjacents qui concourent à étendre la pensée principale, à prolonger l’horizon vers l’infini. Ainsi s’explique qu’elle soit lumineuse jusqu’à l’obscurité. Très claire si l’on s’en tient à ce qu’elle exprime réellement, elle acquiert une splendeur