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LE SYMBOLISME

n’a pas accepté les extrêmes conséquences du système hégélien. Il conçoit, au-dessus de la réalité apparente, l’existence d’une réalité invisible soumise à Dieu, un monde supérieur qui vit parallèlement au nôtre et, dont le nôtre participe dans une mesure imparfaite. Nous sommes plongés dans cette réalité invisible ; elle nous pénètre et il arrive parfois qu’elle daigne par des phénomènes sensibles manifester visiblement quelques épisodes de sa vie invisible. Le privilège de l’artiste est précisément de concevoir ce monde mystérieux. Il l’atteint par un don de l’âme, un effort de pensée qui déchire pour les yeux de l’intelligence les voiles de l’invisible et livre à nos regards intérieurs les vastes domaines de l’irréel. De là dans l’œuvre de Villiers deux tendances nettement caractérisées. Jugeant la société des sommets de l’idéal, il a pour elle ce mépris aristocratique, cette morgue caustique, par lesquels les natures d’élite ont accoutumé de venger les turpitudes qui les blessent. Au nom de ce même irréel, dont il contemple la perfection, il oppose à cette réalité méprisable la réalité idéale. Après la satire virulente des vices humains, il s’enthousiasme pour la beauté de l’invisible. Il dresse le réquisitoire de l’humanité moderne, il écrit le panégyrique du mystère supra-humain.

La société dans laquelle il est contraint de vivre est pour lui l’occasion d’un écœurement perpétuel. Il y constate avec humeur le triomphe des utilitaires, la puissance des médiocres. Il y note avec colère l’amour effréné de l’argent, ainsi que le dédain de tout ce qui n’est pas monnayable : « Surtout pas de génie, devise moderne », recommande-t-il au frontispice de l’un de ses contes : les Deux Augures. Il dépeint l’ingénieur Grave [1], qui rêve de « défricher l’azur, de coter l’astre, d’exploiter les deux crépuscules, d’organiser le soir, de mettre à profit le firmament jusqu’à ce jour improductif » et dont l’invention comble de joie les bourgeois pratiques puisque, grâce à elle, « le ciel finira par être bon à quelque

  1. L’Affichage céleste.