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LES PRÉCURSEURS DU SYMBOLISME

porte ouverte à cette effarante philologie par laquelle tant de symbolistes chercheront à se distinguer. N’est-ce pas là, outre l’esthétisme si bizarrement introduit par Baudelaire dans la poésie française, de quoi expliquer l’admiration de la phalange symboliste pour ce professeur de mysticisme et de sensualité, de quoi comprendre la dévotion quasi-divine qu’ont à ce père étrange marquée tant de fils prodigues ?

11. Cette pensée que Baudelaire avait tenté de conduire aux confins de l’invisible, et cette forme si maladivement suggestive, les symbolistes les retrouvaient avec une intensité effrayante d’intuition et d’art dans les livres « pleins d’épouvante, d’hallucinations, de tendresse, de plaisanterie noire et de raillerie féroce » que publiait avec un hautain mépris de la gloire le comte Villiers de l’Isle-Adam. Alors que Barbey d’Aurevilly héritait directement du caïnisme et du satanisme, pour mieux dire du sadisme intellectuel de Baudelaire, Villiers épurait le patrimoine du maître au souffle d’un christianisme sincère et tentait la conquête de l’inconnaissable, non plus avec cette âpre mélancolie dont le morbide confesse trop l’impuissance, Mais avec cette volonté sereine qui dédaigne les tares de la réalité pour se hausser à la contemplation des vérités éternelles. L’âme de Baudelaire restait emprisonnée dans son corps ; celle de Villiers apparaît presque dégagée des liens charnels.

Comme philosophe, Villiers est un disciple chrétien d’Hegel. L’univers, à son sens, n’est qu’une ombre vaine, le monde extérieur qu’une série d’apparences confuses, dont le flot heurte inutilement notre intelligence.

Les organes dont l’homme dispose sont trop faibles, trop insuffisants pour pénétrer jamais ce que cache le mouvement perpétuel des phénomènes. Il n’y a qu’une réalité certaine : la pensée. Pareille conception aurait dû entraîner Villiers à absorber la matière dans l’esprit et logiquement l’amener ou à l’athéisme ou au panthéisme. Villiers, breton et croyant,