d’avoir réussi, en conciliant les contradictions les plus incompatibles,
à fuir le banal et à découvrir le nouveau. Il y parvient
par une alliance insolite du mysticisme et du libertinage.
Il a conservé de la religion cette sensibilité maladive
qu’en dehors de toute sincérité de croyances provoquent les
cérémonies de l’église, ce culte de latrie qui suggère invinciblement
la terminologie liturgique dans les sujets les plus
profanes. Il invoque une maîtresse comme la Vierge :
Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse.
Il compose pour une modiste des stances latines qui ressemblent à des cantiques sacrés. Et cependant ce mysticisme n’atténue point son libertinage. Il semble au contraire qu’il le surexcite. Il a des visions dépravées, le goût des bouges, les raffinements d’un blasé qui savoure avec curiosité les plus basses amours. Un à un, il descend les degrés qui conduisent à la perversion des sens et de la raison.
Tout ce qui porte en soi le cachet de la décadence, les fins d’automne, les heures du soir, les musiques languissantes, filles fardées, ivrognes alourdis de vin, d’opium, de haschich ou d’éther, décomposition morale ou physique, tout ce qui en un mot constitue le bilan du sadisme intellectuel, tout cela est pour lui matière d’art, car tout cela tient du morbide, et c’est là pour l’art un domaine vraiment inexploré. Cette subtilité maladive conduit Baudelaire à percevoir derrière la réalité tangible une réalité spirituelle, des puissances occultes, des liens invisibles par lesquelles les choses correspondent entre elles, un fonds commun sur quoi tout repose et qui donne à l’initié le droit d’établir entre les objets les plus hétérogènes des rapprochements singuliers, d’ailleurs inexplicables pour le vulgaire. C’est le sens du sonnet qui s’intitule Correspondances :