esprit passionne d’idéalisme. L’âme a vite fait le tour des
joies qu’elle recèle. Elle s’y blase et s’y désespère. Il faut
donc chercher ailleurs de quoi satisfaire nos inclinations spiritualistes.
Baudelaire résoud le problème en rejetant la
nature du domaine de l’art, en concevant « une création due
tout entière à l’art et d’où la nature est complètement
absente ». Poe lui avait enseigné que la fantaisie répond
mieux que la réalité à notre curiosité d’idéal ; il conclut que
l’artificiel dépasse en beauté le naturel, que l’artificiel est
une étape heureuse vers la conquête de l’infini. « Plus l’âme est
ambitieuse et délicate, professe-t-il, plus les rêves l’éloignent
du possible
[1]. » L’extraordinaire et le fantastique sont une
forme de l’irréel : « Le beau est toujours bizarre
[2]. » Comment
donc Baudelaire arrive-t-il à substituer au monde de la
réalité un monde supra-naturel ? En cherchant du nouveau,
quel qu’il soit. C’est le but qu’indique assez la dernière
pièce des Fleurs du Mal : O mort,
Verse nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, enfer ou ciel, qu’importe !
Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau.
Ce nouveau qu’il trouve au fond de l’inconnu, c’est le mal et par extension le malsain. « L’homme et la femme savent de naissance que dans le mal se trouve la volupté. » D’ailleurs l’âme est plus ou moins sous l’influence d’un pouvoir diabolique [3], et l’enfer est peut-être un moyen de comprendre le ciel. Baudelaire s’y est jeté à corps perdu : « Vous avez pris l’enfer, lui écrit Sainte-Beuve, et vous vous êtes fait diable ; vous avez voulu arracher leur secret aux démons de la nuit. » Victor Hugo précise : « Vous avez doté le ciel et l’enfer d’on ne sait quel rayon macabre ; vous avez créé un frisson nouveau. » C’est en effet le privilège de cet étrange génie