Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
LE SYMBOLISME

aux autres. Dans le monde invisible comme dans le monde réel, si quelque habitant des régions inférieures arrive, sans en être digne, à un cercle supérieur, non seulement il n’en comprend ni les habitudes ni les discours, mais encore sa présence y paralyse et les voix et les cœurs.

» Dans sa Divine Comédie, Dante a peut-être eu quelque légère intuition de ces sphères qui commencent dans le monde des douleurs et s’élèvent par un mouvement armillaire jusque dans les cieux. La doctrine de Swedenborg serait donc l’ouvrage d’un esprit lucide qui aurait enregistré les innomblables phénomènes par lesquels les anges se révèlent au milieu des hommes [1]. » Fortement influencé par cette doctrine. Louis Lambert établit à son tour sa vision du monde. Il divise le domaine des idées en trois sphères : celle de l’instinct, celle des abstractions, celle de la spécialité. Il les définit dans ces pensées qui sont le résumé de sa doctrine : « La plus grande partie de l’humanité visible, la partie la plus faible, habite la sphère de l’Instinctivité. Les Instinctifs naissent, travaillent et meurent sans s’élever au second degré de l’intelligence humaine, l’Abstraction.

» À l’abstraction commence la société. Si l’abstraction comparée à l’instinct est une puissance presque divine, elle est une faiblesse inouïe, comparée au don de spécialité qui peut seul expliquer Dieu. L’abstraction comprend toute une nature en germe plus virtuellement que la graine ne contient le système d’une plante et ses produits. De l’abstraction naissent les lois, les arts, les intérêts, les idées sociales. Elle est la gloire et le fléau du monde ; la gloire, elle a créé les sociétés ; le fléau, elle dispense l’homme d’entrer dans la spécialité.

» La spécialité consiste à voir les choses du monde matériel, aussi bien que celles du monde spirituel, dans leurs ramifications originelles et conséquentielles. Les plus beaux

  1. Louis Lambert. Paris, Charpentier, 1842, P. 39 et 40.