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LE SYMBOLISME

à la mode des blasons, ne tente pas seulement de blasonner les choses matérielles, l’œil, le sourcil, les larmes ; il cherche encore à exprimer l’immatériel, à blasonner le soupir. Il y a là un essai très original dans lequel les symbolistes modernes doivent voir le plus sérieux des efforts faits au xvie siècle pour donner à la forme symbolique un sens plus mystique. Aux côtés de Scève, Claude de Taillemont insère dans son roman des Champs Faëz son dialogue entre l’amant et l’âme. Un amant pleure une maîtresse adorée. Il va sur sa tombe exhaler son désespoir. L’âme de la morte apparaît. Elle console le malheureux et pour le convaincre que la résignation chrétienne n’est pas un mythe, elle lui dévoile les secrets de la vie future :


Avec moy peux estre,
Si, le corps délaissant,
Tu veux l’esprit repaistre
Du fruict aux cieux naissant.


Le sensualisme mystique prend aussitôt la place du sensualisme matérialiste. Jacques Tahureau n’est pas encore tout à fait dégagé des sentiments licencieux dans ses Sonnets et Mignardises, mais les poétesses érudites, Jeanne Gaillarde et surtout Louise Labé purifient l’amour au point de le ramener à une simple idée intellectuelle. La Sapho lyonnaise dans son ardeur inquiète mêle même à son lyrisme une certaine teinte de mélancolie :


On voit mourir toute chose animée
Lors que du corps l’âme sutile part…


Les mystiques précurseurs de la Pléiade ont donc introduit dans les lettres les idées spiritualistes, agrandi par ce moyen le domaine de la poésie et renouvelé l’inspiration que le réalisme avait remplacé par la satire et la rhétorique [1].

  1. Cf. sur cette école E. Bourciez, les Mœurs polies et la littérature de cour sous Henri II. Paris, Hachette, 1886.