Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
398
LE SYMBOLISME

souvent à contre-cœur. En matière de langue comme en matière de commerce, la foule n’aime pas les « rossignols ». Le développement de la philosophie, de la science et de l’économie politique suffit à enrichir un idiome. La besogne des archéologues est quasi inutile. On ne comprend pas ou on comprend mal, et d’instinct on va au plus simple, au plus usuel, au terme sur lequel il n’y a pas d’équivoque. Cette remarque, qui vaut pour les termes, vaut plus encore pour les expressions ou les épithètes. Pouquoi voulez-vous qu’un écrivain du xxe siècle s’exprime comme Ronsard, Jodelle ou Rabelais ? La langue porte le reflet de la civilisation. Le Français d’aujourd’hui n’a ni les habitudes, ni le goût des Français du moyen âge. Il s’exprime autrement. S’il est sensible à des trouvailles heureuses, il reste froid devant ces exhumations qui lui rappellent peut-être quelque chose du passé, mais qui ne répondent à rien de la vie présente. Les romanistes l’ont compris sans doute, mais après des expériences qui tachent encore leur renommée. Le temps avait une fois condamné l’œuvre des grands rhétoriqueurs. Les symbolistes ont éprouvé que l’évolution s’applique aussi au langage et que les mots sont, comme les hommes, fils de leur siècle. Ils n’ont pu compenser cette erreur qu’en étendant le sens des vocables en usage, et par cette extension que l’habitude a encore à sanctionner, il peut arriver qu’ils aient ajouté aux qualités expressives de la langue ; mais la fortune d’un néologisme dépend souvent du talent de son auteur et ceci est déjà le secret de demain.

En définitive, l’œuvre du symbolisme comporte un échec honorable et une victoire grosse de profit.

Son synthétisme de forme englobe beaucoup d’audaces juvéniles, peu de résultats fructueux.

Par contre son synthétisme d’inspiration a préservé notre littérature d’un suicide dans les marais scatologiques. Il a pour elle ouvert la voie des espaces infinis. Obsédés par l’exemple des romantiques, les symbolistes ont eu tort de