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LE SYMBOLISME

La musique et la poésie ne poursuivent pas des buts identiques. L’une exprime sous la forme synthétique les sensations complexes dont notre âme est le théâtre incessant. L’autre a précisément pour tâche de jeter la clarté dans ces ténèbres. Elle a mission d’éclairer l’inconscience de notre conscience. Son flambeau est l’analyse. C’est donc aller contre la finalité essentielle de la poésie que lui supposer des instruments de travail dont elle ne peut connaître l’usage. Autant vaudrait donner au laboureur l’épée du soldat et lui assurer que pour retourner la terre le glaive est préférable à la charrue. Une pareille conception de la syntaxe française a pour corollaires deux paradoxes. Elle suppose que les constructions synthétiques sont dans les langues un signe de perfection ; elle affirme a priori que tous les vocables équivalent à des harmoniques. La construction synthétique indique au contraire la jeunesse d’un idiome. Le fait est facile à vérifier. La langue française a mis plusieurs siècles à s’évader de la période synthétique, et à l’heure présente la langue allemande tend à s’adjuger à son tour les bénéfices de l’ordre logique. Rétablir les tournures que la pratique des siècles a condamnées, n’est-ce pas nier délibérément le travail de sélection qui au cours du temps s’exerce aussi bien sur les idiomes que sur les espèces naturelles ? Quant à confondre sans restriction les mots et les sons musicaux, rien en phonétique n’autorise des affirmations aussi absolues. Sans doute quelques vocables sont de pures onomatopées notées et conservées par l’écriture. Mais si les interjections et les bruits imitatifs sont le plus souvent la matière première des racines, ils sont loin d’être uniquement celle des mots, sinon comment expliquer l’extrême diversité des idiomes parmi l’espèce humaine. En réalité les mots sont la représentation graphique d’une idée ou d’une sensation et cette représentation est forcément conventionnelle. Qu’il s’y rencontre de certaines analogies entre le son et la pensée exprimée, rien de moins contestable, mais de là à ériger en système un phé-