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LE BILAN DU SYMBOLISME

élémentaire, perceptible à toutes les oreilles. Une poésie qu’on ne peut apprécier qu’à la condition de connaître la valeur des muettes enclitiques ou proclitiques, des syllabes fortes, des syllabes faibles et des syllabes zéro, n’est plus une poésie, c’est un jeu de savant. Il en est de même pour toute composition basée sur l’art d’allonger ou d’abréger à volonté certaines syllabes. Cet art-là est forcément plus personnel, plus arbitraire, plus fictif que général et que réel. Or, le poète doit flatter avec ses vers une habitude ancestrale. Il n’a de chance d’être compris que s’il ne combat pas ouvertement cette habitude, s’il la modifie tout en sacrifiant à ses exigences. Faites entendre au pâtre des Cévennes, accoutumé aux mélopées traînantes des montagnes, les morceaux du Tannhauser, il n’y verra que tohu-bohu : la beauté demande une certaine accoutumance. On n’en connaît tout le prix qu’après une éducation préparatoire. C’est pourquoi le verslibrisme restera longtemps un essor malheureux. Il est impossible de donner à la foule l’éducation variée qui serait nécessaire pour lui permettre d’apprécier les lyrismes éminemment subjectifs de chaque poète. L’art veut être et doit être universel. La masse peut trouver plaisir à des modifications progressives de la foi poétique ; elle restera toujours hostile à des transformations radicales. Aussi, tandis que le vers libéré flatte son goût du nouveau, le vers libre lui paraît-il un non-sens. Elle accepte l’un comme une conquête légitime du symbolisme, elle rejette l’autre comme une erreur de théorie et un excès de pratique.

La réforme syntaxique ne tient pas compte davantage de la réalité historique. Sous prétexte de nécessité synthétique elle s’insurge directement contre l’évolution, elle est une réaction contre le progrès. A l’origine en effet la poésie et la musique n’étaient pas séparées. Mais parce que leur union nuisait au développement de l’une et de l’autre, elles ont été contraintes d’obéir à leur tour à la loi de division du travail et de se cantonner désormais dans un domaine approprié.