Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
LES PRÉCURSEURS DU SYMBOLISME

deux façons suivant qu’elle préférait la logique ou la métaphysique.

Dans sa première manière en effet, à condition de considérer les années antérieures au xviie siècle comme le balbutiement d’une âme qui cherche sa voie, la littérature française a trouvé aux êtres et aux objets de la nature un sens rationaliste. Étant donné une idée, une théorie psychologique ou morale, elle a pour la rendre sensible créé des types qui en étaient la démonstration formelle ou découvert des images qui en étaient la représentation adéquate. Ainsi elle a réduit aux plus étroites limites le domaine du sentiment, de l’imagination et du rêve, pour assurer partout la prédominance de la raison. C’est l’art classique. Corneille symbolise le patriotisme dans les Horaces ; Racine, l’amour conjugal et maternel dans Andromaque ; Molière, l’avarice dans Harpagon. La poésie didactique s’épanouit dans la fable et dans la satire. Le lyrisme se dissimule derrière l’éloquence des dramaturges ou des orateurs de la chaire. Quand il ose s’appuyer sur ses propres ailes, il accomplit des vols un peu lourds. Monté par J.-B. Rousseau, Lefranc de Pompignan et même Lebrun-Pindare, Pégase n’atteint pas les hauts sommets. Le classicisme personnalise donc une idée. Quand il n’en fait pas l’âme d’un héros, il la colore avec des métaphores savamment graduées. À cette littérature d’idées correspond un symbolisme rationaliste, l’incarnation dans un type ou la traduction en images d’une abstraction.

Dans sa deuxième manière, la littérature française a voulu saisir derrière les êtres et les objets de la nature, une cause mystique. Outre son caractère particulier, l’individu participe d’une ambiance mystérieuse. Il est non seulement le signe tangible d’une puissance cachée, mais la résultante sensible des forces obscures qui gouvernent le monde, le point de contact réalisé des correspondances universelles qui se nouent dans l’ombre de l’inconnaissable, autour d’un être ou d’un objet. En d’autres termes, le visible est la forme maté-