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LES MALLARMÉENS

le poète peut quelquefois trouver, dans la tradition, des formes adéquates à sa pensée. Au fond du plus grand révolutionnaire, il y a toujours, par éducation du moins, un classique. C’est pourquoi, par un retour logique, les adeptes de la liberté intégrale en art sont amenés à profiter des progrès réalisés par leurs aînés et à fondre dans un mélange harmonieux le symbolisme et le classicisme. C’est la thèse défendue et mise en œuvre par Henri de Régnier. Après avoir proclamé « qu’il adore l’indépendance en art surtout » [1], le poète essaie de « recréer le passé, d’éterniser en lui et hors de lui des minutes fugitives » [2]. Pour cela, il épuise avec des réminiscences de toutes les écoles la sensualité intellectuelle et la préciosité qui sont les penchants distinctifs de sa muse. Il pique des détails, il accroche des manies, tantôt dans le goût abstrait de Mallarmé [3], tantôt selon le geste indolent de Verlaine, tantôt enfin avec un art si divers qu’il devient presque impossible de préciser exactement sa manière personnelle. On ne la définit pas. Elle rappelle Vigny, Musset, Heredia et Rostand. On dirait d’un de ces extraits que lance la mode et qui n’est pourtant qu’un mélange heureux de parfums fondamentaux. Régnier construit son vers selon sa fantaisie. Le vers lui paraît avant tout la modulation musicale d’une voix. Il est fait pour être entendu plus que pour être lu. Tous chez lui sont soutenus par une harmonie subtile mais réelle et presque toujours perceptible. Le nombre des mètres importe peu. L’essentiel est que le rythme soit beau [4]. C’est pourquoi les mètres les plus dissemblables voisinent chez Henri de Régnier en parfaite confraternité : ici des alexandrins réguliers [5], presque parnassiens [6], là des

  1. J. Huret, op. cit., p. 93.
  2. Les Lendemains, Dédidaces.
  3. Les Lendemains.
  4. J. Huret, op. cit., p. 94.
  5. Poèmes anciens et romanesques : Motifs de légende et de mélancolie.
  6. Médailles d’argile : Cité des Eaux.