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LE SYMBOLISME

Le poète porte en lui la vie : son âme en est la source ; elle crée tout.

Debout, appuyé d’une main
A quelques pierres des temps anciens,
Je sentais cette vie en moi
Et que je créais tout cela
— La ville, le lac, les faîtes blancs —
Du grand regard de mes vingt ans[1].


Il ne faut pas l’emprisonner dans un rêve aimé, ou l’arrêter au poème qui paraîtrait exprimer le meilleur de soi. Il faut la laisser vibrer en toute liberté sous les effluves de l’aujourd’hui et du demain, puis fidèlement enregistrer ses plus hautes et ses plus humbles émotions :

Car tu diras le chant des fastes
Si tu dis ton intime émoi :
Il n’est pas de fatals désastres
Toute la défaite est en toi[2].


Tout confesser de soi, au jour le jour, et selon le caprice de la muse, tel est donc pour Vielé-Griffin le devoir suprême du poète. C’est la théorie même de Laforgue. Autant dire qu’en ce qui concerne le fond même du poème, il n’y a pas de règles et que l’inspiration est libre.

La forme ne l’est pas moins. A des sentiments ou des sensations individualistes ne peut correspondre qu’une expression personnelle, essentiellement variable pour être essentiellement adéquate à l’idée qu’elle doit revêtir.

Le vers est libre, déclare fièrement Vielé-Griffin au début de son recueil Joies en 1889. Par là, il ne faut entendre ni que le vers peut avoir une longueur démesurée, ni que le poète est libre d’appeler vers toute sorte de période. En ce qui concerne la première interprétation, Vielé-Griffin n’a

  1. Les Cygnes : le Fossoyeur.
  2. Fleurs du chemin X.