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LES MALLARMÉENS


L’œuvre poétique de Laforgue est l’application stricte de ces principes esthétiques. Laforgue se courbe avec respect devant l’inconscient. Il raconte l’homme dans sa grandeur comme dans sa petitesse, dans sa gravité comme dans sa folie, d’un mot, dans tous les élans capricieux de son instinct.

Que votre inconsciente volonté
Soit faite dans l’Éternité.......
Formuler tout ! En fugues sans fin dire l’Homme
Être l’âme des arts à zones que veux-tu[1].


En conséquence, le poète d’une aile égale vole à travers tous les domaines. Passionné de vie intérieur, il se proclame « le grand chancelier de l’analyse. » Étreint de tristesse, il

Vogue, à jamais Innocent
Par les Blanes parcs ésotériques
De l’Armide métaphysique[2].


Il va du pessimisme de la Méditation grisâtre et du sanglot métaphysique qui gémit dans Éclair de gouffre, à ce sonnet de rêverie ironique et amusante qu’est la Cigarette [3]. Puis, fatigué « de croupir dans les usines du Négatif » [4], il se met à chevaucher les fougueuses cavales de la fantaisie, et les poèmes les plus hétéroclites, les vers les plus inattendus coulent fiévreusement de sa plume. La raison et l’excentricité jouent aux raquettes dans son œuvre avec un entrain endiablé. Il suffit pour se rendre compte des mille caprices qui ont sollicité sa Muse, de lire l’énumération de quelques titres choisis pour ses poèmes : Complainte du fœtus de poète, des nostalgies préhistoriques, des formalités nuptiales, des blackboulés, du soir des comices agricoles, de l’époux

  1. Complainte propitiatoire à l’Inconscient.
  2. A Paul Bourget.
  3. Le Sanglot de la terre.
  4. Inédits de Laforgue. Entretiens pol. et litt., 1891, t. II, p. 98.