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LES MALLARMÉENS


soit un premier vers composé de quatre cellules organiques ternaires et un second vers composé de deux cellules organiques binaires alternant avec deux cellules organiques quaternaires [1]. N’est-ce pas la preuve manifeste que les grands classiques se souciaient assez peu de la césure et que pour eux comme pour les symbolistes, l’unité métrique n’était pas la syllabe de un pied mais la cellule organique à consonnes et voyelles variables selon l’unité de sens ou de son. Les classiques n’ont qu’assez rarement apparenté leurs cellules métriques au moyen de l’allitération ou de l’assonance. Enfermés dans des règles de fer, ils n’avaient que la rime pour indiquer de façon plus artificielle que réelle la parenté des cellules organiques. Le vers classique est la juxtaposition de deux mètres réunis en queue par une accolade : la rime. Tout différent est le vers moderne. Il s’organise naturellement. La parenté des cellules n’est ni extérieure ni formelle ; elle est intérieure et réelle. En voici un :

Des mirages | de leur visage | garde | le lac | de mes yeux


Les partisans de l’ancienne métrique lui trouvent 16 syllabes. Il est en réalité composé de 5 cellules organiques inséparables, solidement attachées entre elles par des allitérations et des assonances. Aussi se suffit-il à lui-même. Sans doute il dépasse le nombre de 12 syllabes ! « Et pourquoi pas ? Pourquoi la durée serait-elle restreinte à 12, à 14 syllabes ? Sans admettre que le vers devienne un verset complet, et là le goût et l’oreille sont suffisants pour avertir le poète, on peut grouper en un seul vers trois ou quatre éléments ayant intérêt à ce que leur jaillissement soit resserré. Le vers obtient ainsi une valeur résumante, analogue à celle du dernier vers de la terza rima, mais plus réel, plus obtenu au moyen du vers même, sans ressource empruntée à la

  1. Préface sur le vers libre, en tête des Premiers Poèmes, édition du Mercure de France, 1897.