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LA GENÈSE DU MOUVEMENT SYMBOLISTE

plus solidement assis, il fallait atteindre la sensibilité de la foule et l’enthousiasmer sans fatigue cérébrale pour l’idéal nouveau. Ce fut l’œuvre de l’Allemagne. Elle insinua dans les oreilles ce spiritualisme dont l’Angleterre et la Russie essayaient d’abreuver notre esprit. Après Fichte qui déclarait l’idéal la réalité suprême et le moi le créateur perpétuel du monde [1], après Schlegel pour qui « la nature n’était autre que la fantaisie devenue perceptible par les sens », après Novalis dont les lettrés ne connaissaient guère que cet axiome : « Le mur de séparation entre fable et vérité, entre passé et présent est tombé, et c’est la foi, l’imagination, la poésie qui nous dévoileront l’essence du monde », après Herder, Schiller, Gœthe et Schelling, pour qui la fusion de la plastique, de la poésie et de la musique n’était pas pure utopie, après tous ces maîtres de la pensée allemande que la France scientifique et littéraire était seule à ne pas ignorer [2], Wagner surgissait qui les résumait tous et par son action musicale allait initier le grand public aux doctrines d’un art nouveau. En vulgarisant son œuvre, on organisait contre le naturalisme une résistance efficace, une protestation plus générale et enfin tangible pour tous. La musique est en effet l’art le plus compréhensif. Les nerfs ont l’intuition des symboles que la raison ne comprend pas. C’est assez pour que la foule saisisse le lien étroit qui unit l’art au mystère, à la religion, à l’idéal. Aussi, les auditions et les représentations de Wagner se multiplient-elles à Paris. Pas-de-Loup, Lamoureux, Colonne interprètent dans leurs concerts des fragments du maître ; il y a chez eux des « dimanches héroïques [3] ». Lohengrin est magnifiquement exécuté par

  1. La Doctrine de la science.
  2. Cf. sur l’influence allemande en France : Virgile Rossel, Histoire des relations littéraires entre la France et l’Allemagne. Paris, Fisbascher, 1897. — Supfle (Th.), Geschichte des deutschen Kultureinflusses auf Frankreich. Gotha, 1886-1890, 2 Bde, in-8o.
  3. Kahn, Symbolistes et décadents, p. 18.