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LES VERLAINIENS

veut. Francis Jammes s’en passe du reste fort bien. Il lui suffit que sa forme suive sa sensation agitée ou calme. Il ne s’inquiète point de plaire [1]. Il ne sait du reste « selon quelle formule il faut aimer en vers, il faut pleurer en prose [2] », et il ne veut pas le savoir. La littérature, il l’a en horreur ; elle est pour lui l’antinomie de la poésie : « J’aurais pu, reconnait-il, imiter le style de Flaubert ou celui de Leconte de Lisle, et faire, comme un autre, un poncif. J’ai fait des vers faux et j’ai laissé de côté, ou à peu près, toute forme et toute métrique. Mon style balbutie, mais j’ai dit ma vérité. Je ne veux blâmer ni prôner ma façon de faire ; mais ce que j’affirme, c’est ma haine des écoles, ma tolérance, mon amour de la vérité et ma pitié de ce lieu commun qui est le cœur de l’homme. Pour être vrai, mon cœur a parlé comme un enfant [3]. » Ainsi Francis Jammes excuse les naïvetés de pensée et les négligences de style. Il y a peut-être un peu de simplicité forcée et par là même exaspérante à vouloir partout multiplier des réflexions enfantines. Les impressions et les sentiments d’un homme de quarante ans ne ressemblent guère à ceux d’un enfant de sept à dix ans. Ils sont pourtant aussi naturels, aussi sincères, sans aucun doute aussi intéressants. La correction du style est naturelle à l’homme mûr, de la même façon que les nonchalances de langage le sont aux enfants. On ne voit guère, par exemple, ce que perdrait le poème des Villages si 51 vers n’y commençaient pas par avec. La simplicité devient une attitude dès qu’elle est affectée. La naïveté qui se prolonge n’est qu’une forme de l’excentricité. C’est le cas de Francis Jammes. A exagérer le principe de Verlaine et les enseignements de Rimbaud, Francis Jammes a peut-être renouvelé l’élégie dont le romantisme avait épuisé la sensibilité, mais en en faisant exclusivement le chant

  1. Cf. le début du Deuil des primevères.
  2. Clara d’Ellébeuse.
  3. Préface de Vers (mai 1893).