Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
278
LE SYMBOLISME

mécontente et par-dessus tout l’art délicat du musicien qui a su transformer ces

Bibelots d’emplois incertains,
Fleurs mortes aux seins des almées,
Cheveux, dons de vierges charmées,
Crépons arrachés aux catins…,
Bijoux, chiffons, hochets, pantins.


en complaintes d’une harmonie pénétrante et d’un rythme partout séduisant.

7. Tristan Corbière. — La mélancolie de Cros avait des sursauts d’exaspération, des crises de rage satirique, mais le rictus était chez lui l’accident. Il va devenir l’habitude, plus même, tout le tempérament de Corbière. Ce breton, « un tendre comprimé », comme le définit son cousin Pol Kalig, est un élève de Barbey d’Aurevilly pour qui le dandysme est l’unique muse. Il a découvert la spontanéité dans l’inspontanéité, le naturel dans l’artificiel, la sincérité dans la pose. Toute sa vie, il a cultivé la contradiction et mis sa gloire à réaliser le type de poète falot et picaresque, ce Don Quichotte de Montmartre que M. Rémy de Gourmont caractérise en disant de Corbière qu’il fut le « Don Juan de la singularité ».

Son esthétique se résume dans l’horreur du métier. Il répudie de toutes ses forces le savoir-faire, l’art ! Il prend du reste la précaution d’en avertir le lecteur dès le début de ses Amours jaunes, où, se risquant à caractériser sa poésie, il s’écrie ironiquement :

Des Essais ? — Allons donc, je n’ai pas essayé !
Étude ? — Fainéant, je n’ai jamais pillé !
… Vers ? — Vous avez flué des vers ?… Non, c’est heurté
Ça, c’est naïvement une impudente pose…
L’art ne me connaît pas. Je ne connais pas l’art[1].

  1. Ça, (édition Glady, 1873).