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LES VERLAINIENS

dans les yeux, lorsque accablé de lassitude on s’abandonne aux effluves d’un demi-sommeil. Tout cela, chez Rodenbach, paraît sortir de la poussière des siècles ; ce sont des figures vieilles, des fronts ridés, des fantômes pâles aux gestes lents, aux regards usés et dont l’haleine a des parfums de néant ; on se croirait dans un cimetière très ancien où, sur les tombes, joueraient les rayons jaunes d’un soleil d’hiver, où pieusement dans les allées, glisseraient des béguines et de vieilles gens, où des ombres furtives se lèveraient derrière les pierres noircies par l’âge, et dans cette asile de recueillement, de silence, de paix dévote et funéraire en entendrait murmurer cette symphonie de prose et de vers, qui, de Bruges-la-morte au Règne du silence, et au Voyage dans les Yeux, consacre la poésie des villes mortes de la Flandre avec leurs traditions, leurs monuments, leurs canaux et le mysticisme indéfinissable de leur art mélancolique. Comme pour échapper enfin au charme obsédant de ces évocations, le poète rentre soudain dans la vie et sa muse sourit aux élégances raffinées des élites flamandes. Car les sujets héroïques ne sont pas pour lui plaire. C’est une grande dame lymphatique dont les journées passent à se traîner de bergère en fauteuil, pour caresser de ses doigts effilés des chiffons précieux, toucher du clavecin, et soupirer après de vagues, très vagues désirs :

Les grandes Muses abolies,
Si j’avais suivi leur conseil,
M’auraient fait chanter le soleil
Guérisseur des mélancolies.

Mais ma dolente muse, à moi,
Elle est mignonne, elle est phtisique,
Elle fait un peu de musique
En se mourant d’un long émoi.

Elle est sentimentale et mièvre[1]

  1. L’Hiver mondain : Mièvreries, I.