combat de la lumière et de l’ombre, le soir dans les vitres
[1],
ce dernier champ-clos du crépuscule. Il cède à l’aube à la
tentation des nuages, ces merveilles issues d’une fumée en
fièvre « qui a su multiplier ses affluents de rouge et ces halos
de ruine, comme si l’aube avait délayé l’arc-en-ciel ». Invinciblement
ce spectacle réveille en lui la mémoire d’impressions
anciennes, et c’est aussitôt tout le branle-bas des souvenirs
endormis, toute la résurrection dans le cœur, d’un
passé déjà estompé, autant de motifs précieux dont s’empare
la muse alanguie de Rodenbach, pour tisser de fragiles et
délicieux poèmes :
Faisant de nos amours défunts
De nos rêves de toutes sortes
Des vers — comme avec les fleurs mortes
On distille d’exquis parfums[2].
Sous cet afflux de sensations, Rodenbach ne distingue plus entre ses états de conscience et les impressions qu’il reçoit du monde extérieur, ou plutôt la nature se confond avec l’âme du poète et dans son cœur tout se met à vivre intensément. Alors à cette heure exquise où s’approche la nuit, se révèle au poète le charme des vieux murs au fond des vieilles rues. Voici les quais antiques endormis dans le soir solennel, les canaux bleuis, les cloches qui gémissent dans la brume, tandis que solitaire, pauvre et morne, au bord croulant des toits, un joueur de flûte fait chanter de l’ombre dans la tristesse du soir [3]. Les plantes, l’eau, les maisons s’animent, se personnifient, prennent des visages et des attitudes humaines, soudainement surgies dans la vie des hommes par les sortilèges d’une hallucination modérée, doucereuse, pareille à ces fantasmagories qui vous dansent