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LE SYMBOLISME

ainsi que le dit Coppée, « le parfum d’adieu des chrysanthèmes de la Saint-Martin ».

C’est un malade auquel la souffrance laisse assez de répit pour broder d’exquises fantaisies ou pour soupirer doucement sa désespérance.

4. Georges Rodenbach. — Devant l’inéluctable fatalité d’un mal pareil, Rodenbach rivalise avec Samain de correction douloureuse. Lui aussi est un averti ; il s’en va doucement de la poitrine et ses jours sont comptés. Il le sait, mais il entend mourir en chrétien et en poète, c’est-à-dire avec résignation et élégance.

Le sage que la mort condamne en pleine jeunesse se soumet à son destin. Tandis qu’il descend les degrés qui l’acheminent vers le tombeau, il s’accoutume à son mal et finit par en étudier avec intérêt les progrès destructeurs. A se sentir chaque jour un peu plus conquis par la mort, il se persuade que cette défaite quotidienne de l’être ne manque ni de nouveauté ni de charme ; il aime cette mort qui l’achemine avec douceur vers le néant. Le voilà non seulement qui ne songe plus à regretter la lumière, mais qui se passionne avec un plaisir maladif pour les manifestations de lentes désagrégations dont son organisme est le théâtre. Il en explore la diversité d’un œil à peine humide, amusé presque, avec ce sourire fané si caractéristique chez ceux qui souffrent d’un mal secret. Ses sens surexcités perçoivent des nuances imperceptibles aux gens doués de santé, et cette énergie morale qu’il ne peut pas dépenser en actes héroïques ou en pensées vigoureuses, il l’épuisé dans l’analyse de détails intimes, dans l’examen méticuleux des mille sensations, qui, sous l’action de la fièvre défilent devant la conscience à la manière des images d’un cinématographe affairé. C’est là la volupté de la souffrance, c’en est aussi la poésie. Cette psychologie du malade résume l’art de Rodenbach. Prédisposé par atavisme à la mélancolie, contraint à la tristesse par la