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LES VERLAINIENS

Mais fluidifier le vers à l’extrême n’équivaut pas pour lui à le ramener à la prose. Le domaine de la prose et de la poésie sont nettement séparés. Si désarticulé que soit le vers, il doit toujours donner la sensation du rythme. Sur ces points, Samain est l’adversaire intransigeant des harmonistes et verslibristes. S’il consent à libérer le vers, il n’y procède qu’avec circonspection, car il convient à son sens de ne pas bouleverser avec brutalité les habitudes métriques du lecteur. « La poésie, précise-t-il dans ses Notes inédites, ne saurait se passer d’un rythme, fût-il aussi fluide et effacé qu’on le suppose. Il est certain que pour marquer dans leur forme essentiellement fugace et volatile, des états d’âme placés aux confins du sentir, une métrique violemment orthodoxe ne saurait être de mise. Et l’esprit souffrirait mal un défilé monotonément scandé de strophes cassées à la mécanique. Mais il faut néanmoins qu’à travers le fondu, la coupe noyée et effacée, on sente encore la présence latente, le bercement vague et perdu de la musique, comme dans une barque immobile, on sent vaguement l’entraînement doux, presque insaisissable, mais irrésistible et profond du courant et l’enlaçante douceur de l’eau vivante. » Cette déférence aux usages classiques garde le poète des excentricités de métrique et de style où tant de symbolistes ont cru rencontrer l’originalité. Sa versification ne présente que des audaces timides, plus faites pour intensifier la musicalité du vers que pour en briser résolument le moule. La césure occupe dans son vers toutes les places, mais elle existe ; l’alexandrin bi-césuré lui permet même d’heureux effets d’évocation[1]. Il affectionne la rime riche avec la consonne d’appui. Très peu de pluriels riment, dans ses poèmes, avec des singuliers. Aucun vers n’est assonancé. Il n’a commis qu’un seul vers blanc et encore se trouve-t-il dans une pièce qu’il n’a pas eu le temps de parachever. Mais il ne répugne pas aux séries de

  1. Cléopâtre, II.