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LE SYMBOLISME

de deux démons qui se disputaient les faveurs de sa muse. L’un était l’amour excessif de la vie et se manifestait par l’exubérance de sa sensualité, l’autre était la ferveur du renoncement, le besoin du mystère, la foi en Dieu. Il effaçait les excès de son rival par des flots de mysticisme dévot et lyrique. A un moindre degré, Louis Le Cardonnel est aussi possédé par ces deux démons ennemis. L’un le jette à vingt ans dans cette bohème littéraire qui tenait ses assises à Nous autres et au Chat-Noir. L’autre le pousse au petit séminaire d’Issy. Mais il en sort bientôt, retourne à la vie du siècle jusqu’au jour où repris de mysticité, il entre au séminaire français de Rome et reçoit la prêtrise. La crise religieuse qu’il traverse le conduit un an chez les Bénédictins de Ligugé, mais ensuite, de nouveau tourmenté par des sentiments profanes, il croit pouvoir concilier les doubles tendances qui divisent son cœur en réapparaissant dans la société avec la soutane de prêtre libre. De toutes les luttes intérieures dont les péripéties de cette vie sont le signe. Louis le Cardonnel a conservé dans son cœur une vague tristesse, quelque chose comme la fatigue qu’on ressent après un labeur difficile et prolongé, un besoin de repos, une soif de quiétude. Il l’indique dans ces Invocations d’automne où il traduit avec émotion le charme poignant qu’il éprouve à cette saison crépusculaire :


Toujours tu m’exaltas, saison harmonieuse,
Ta flamme brûle encore en mes hymnes anciens
Tu m’as tout pénétré d’une ardeur sérieuse…


C’est la joie de l’homme qui ayant parcouru la plus grande partie du chemin de la vie, juge la valeur réelle de l’existence et trouve aux portes du tombeau l’apaisement consolateur :


Je ne regarde plus vers les ingrates rives
Du monde aveugle et sourd dont je n’attends plus rien[1].

  1. Invocations d’automne.