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LE SYMBOLISME

française. Il ne réclame pas le vers libre mais le vers libéré. Il ne répudie pas la rime, il l’assagit. Il ne supprime pas l’ancienne métrique, il ne veut que l’aviver. En vérité, ce manifeste révolutionnaire est moins gros de nouveautés pratiques que d’affirmations théoriques. A l’occasion d’une conception idéaliste de la réalité extérieure. Moréas pose simplement le principe de la liberté dans le style et dans le rythme.

Ses premiers livres, les Syrtes et les Cantilènes, prouvent d’ailleurs que là est bien sa réelle originalité. Son expression symboliste des phénomènes sensibles y est assez enfantine. Les symboles des Syrtes sont rares et faciles à pénétrer. Ce sont des analogies sans grande complication où l’on cherche vainement quelque caractère ésotérique. Il comparera, par exemple, la tristesse de l’hiver à la mélancolie d’un sentiment qui meurt. La concordance est donc vite perceptible. Dans les Cantilènes, il y a peut-être plus d’effort vers le symbole profond. La métaphore fait place soit à des allégories commodes à interpréter, soit à un pathos parfaitement incompréhensible, qu’on sent bien d’ailleurs incompatible avec le tempérament du poète. Il y a là des essais malheureux que l’auteur évitera de renouveler. La langue des Syrtes et des Cantilènes ne présente que d’assez rares exemples des périodes qui s’arcboutent et des tournures hétéroclites si magnifiquement recommandées dans le Manifeste. Il n’y a guère à noter dans les Syrtes qu’une prédileclection assez marquée pour les termes rares et un goût déjà sensible pour l’archaïsme.

La métrique est bien celle que vante le Manifeste. Moréas fait dans les Syrtes un usage habile des mètres de 9 et 11 pieds ; il n’alterne pas les rimes ; il utilise le rejet et quelques assonances ; il démembre le vers traditionnel en variant la coupe à l’extrême. Mais l’emploi des mètres impairs est encore là sa nouveauté la mieux réalisée. Il atteint même à la perfection dans les Cantilènes où l’épopée de