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MORÉAS

ville qui a manqué de courage pour les réaliser. Pourquoi ne pas émanciper tout à fait la césure ? Le traité de prosodie de M. Wilhem Tennint publié en 1844, signale, dès cette époque, douze combinaisons de l’alexandrin, depuis le vers qui se césure après la première syllabe, jusqu’à celui qui se coupe après la onzième. Il en est de même pour les vers de six, sept, huit, neuf et dix pieds qui admettent des césures variables et diversement placées. En quoi peut-il être plus utile de codifier ces déviations, que de proclamer la liberté complète et de déclarer qu’en ces questions l’oreille seule décide ? A quoi bon respecter l’alternance des rimes et défendre l’hiatus ? Le poète de génie sait tirer des effets délicats d’un emploi facultatif des rimes masculines et féminines, de même que l’hiatus et la diphtongue, faisant syllabe dans le vers, sont pour lui l’occasion de nouvelles beautés. Cette poésie n’est sans doute accessible qu’au vrai poète, car pour se servir de ce vers compliqué et savant, il faut du génie et une oreille musicale. L’ancienne prosodie permet l’avènement poétique de tous ceux qui veulent rimer malgré Minerve ; la règlementation de la poésie n’a d’autre utilité que de favoriser les poètes médiocres.

Il faut aller jusqu’au bout des réformes préconisées et ne craindre l’excès de liberté ni dans les figures, ni dans les couleurs, ni dans les rythmes. Le désordre apparent, la démence éclatante, l’emphase passionnée sont la vérité même de la poésie lyrique. C’est parce que Hugo n’a été qu’un demi-révolutionnaire qu’on a fait après lui du poncif romantique comme jadis on faisait du poncif classique. On périt toujours non pour avoir été trop hardi, mais pour n’avoir pas été assez hardi. Le poète doit être un oseur. Les réformes rythmiques que Banville s’est borné à proposer, les symbolistes auront l’audace de les réaliser.

Malgré cette exubérance de langage, également coutumière à la jeunesse et aux révolutionnaires, Moréas ne prétend nullement, d’abord, bouleverser de fond en comble la poésie