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LE SYMBOLISME

j’étais devant la boutique d’un vieux luthier vendeur de vieux instruments pendus au mur, et, à terre, des palmes jaunes et les ailes, enfouies en l’ombre, d’oiseaux anciens. Je m’enfuis, bizarre, personne condamnée à porter probablement le deuil de l’inexplicable Pénultième. »

Premier temps : Un vocable dont le sens est imprécis : « La Pénultième est morte ».

La façon dont ces mots sont prononcés suggère l’idée d’un choc d’ailes contre les cordes d’un instrument de musique. Voilà la première analogie, la perception d’un premier rapport entre un son de voix humaine et un son de voix musicale. La comparaison de ces modalités en suscite d’autres : une corde tendue, un instrument de musique oublié.

Deuxième temps. — Prononciation de la même phrase dans une tonalité différente. Le silence est cette fois placé non plus après nul mais après tième. Aussitôt, évocation de corde cassée, impression de deuil, oraison, etc… Explication d’un phénomène aussi étrange : le poète est victime d’un excès de labeur linguistique.

Troisième temps. — Prononciation de la même phrase avec une tonalité nouvelle. A l’impression de deuil, succède l’impression des condoléances nécessaires. Soudain, curieuse constatation : la main du poète fait un geste de caresse consolatrice et les vocables ressuscitent dans leur tonalité primitive. Mallarmé s’aperçoit alors qu’il a été guidé instinctivement vers une boutique d’antiquaire où dans l’oubli des vieilles choses, se confondaient lamentablement d’anciens instruments de musique et de vieux oiseaux empaillés.

N’est-ce pas assez pour démontrer que le poète avait vu se réfléter en lui des douleurs réelles et que son âme était le miroir de ces correspondances mystérieuses par lesquelles se relient entre elles nos illusions ? C’est du moins la conclusion qui paraît se dégager du morceau ; car Mallarmé évite avec soin de conclure : il ne prétend pas imposer au lec-