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MALLARMÉ

sentiment, bases d’une poésie primitive, sont des éléments inférieurs de l’art ; l’élément supérieur est la pensée, et c’est sur elle que repose la vraie poésie, celle des hommes cultivés et des esprits d’élite. D’ailleurs, le poète n’a pas pour rôle unique d’être l’écho fidèle des voix intérieures de l’instinct.

Après avoir pieusement enregistré dans son cœur les caprices de la sensibilité ou de la raison, il doit faire œuvre de volonté. L’art en effet consiste moins à communiquer ou à suggérer aux autres ce qu’on ressent soi-même qu’à créer pour autrui des motifs de pensées, de suggestions ou de rêves.

Ce principe général de son esthétique, Mallarmé le puise dans une philosophie nettement idéaliste. Il partage sur ce point les théories de Villiers de l’Isle-Adam et s’avoue par conséquent disciple de Hegel, de Fichte et de Schelling. Toutefois, ce professeur d’anglais est plus sympathique aux penseurs de la Grande-Bretagne qu’aux métaphysiciens de l’Allemagne. Sa conception du monde rappelle plus celle de Berkeley que celle de tout autre idéaliste. Pour lui comme pour Berkeley, les choses matérielles se réduisent aux idées que nous en avons. Être, c’est être perçu.

La substance matérielle n’existe que par les impressions qu’elle produit en nous. La seule existence appartient aux substances spirituelles, l’âme et Dieu, principe de toute idée c’est-à-dire de toute illusion. Entre toutes choses ces réalités supérieures et invisibles tissent une trame infinie, mystérieuse et variée dont les fils s’entrecroisent dans l’âme du poète : « Tout objet existant, écrit Mallarmé, n’a de raison que nous le voyons… sinon de représenter un de nos états intérieurs : l’ensemble de traits communs avec notre âme consacre un symbole ». L’absolu n’a pour nous qu’une valeur subjective ; le monde est une illusion et l’illusion est la seule

    tion sur les vers clairs de Mallarmé, comme l’a fait avec dévotion M. Remy de Goutmont dans le Temps du 12 octobre 1910 : Souvenirs sur le symbolisme : Stéphane Mallarmé.