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LA GENÈSE DU MOUVEMENT SYMBOLISTE 5

démie morale [1]. Le même idéalisme réunit donc dans un effort commun les dissidents du positivisme, les défenseurs du spiritualisme, et parmi la masse une minorité déjà considérable de gens pour lesquels le réalisme n’est pas le terme exclusif de la vérité. Du seul point de vue philosophique, un esprit nouveau surgit donc, éminemment hostile aux conceptions matérialistes de la vie, et favorable aux aspirations supérieures qui, malgré tout, sont aussi le lot de l’humanité. Il s’affirme dans la théorie par la conception de systèmes spiritualistes, dans la pratique par une floraison de mysticisme religieux ou profane.

2. En littérature, une lassitude déjà moins dissimulée succédait au triomphe du Parnasse et du naturalisme.

Une poésie plus impersonnelle avait suivi les exaltations passionnées des premières années romantiques. On prétendait exprimer en vers les vérités les plus générales de l’intelligence, abandonner l’impression individuelle et toujours trop particulière, retrouver dans l’esprit plus que dans le cœur la source de l’inspiration. Il eût fallu à ce programme des esprits d’élite, des penseurs à la manière de Vigny ou du Hugo de la Légende des Siècles. On n’avait que d’aimables artisans de rythmes, à tempérament médiocre, chez lesquels les idées étaient rares et le besoin de penser presque anormal. Théophile Gautier, Leconte de Lisle, Banville et Baudelaire ont transmis au nouveau Parnasse leur goût de la forme impeccable, mais leurs héritiers se disputent plutôt le verbalisme de Gautier ou la virtuosité rythmique de Banville, que le patrimoine philosophique légué par Leconte de Lisle, par Baudelaire même et si précieusement élargi par Sully Prudhomme.

Le Parnasse, c’est en poésie le triomphe des médiocres. Le poète est un ouvrier du rythme et de la rime ; il aime les

  1. Cf. le Néo-bouddhisme. Académie des Sciences morales, 1893, I, p. 709.