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LE SYMBOLISME


Le motif harmonique est basé sur le retour dans le vers qui suit d’une des mesures du vers qui précède. Le rythme est claudicant puisqu’aucun des mètres n’est immédiatement suivi d’un mètre de même valeur. Mais la musique du vers reste sensible et l’oreille, au début choquée par ces accords imparfaits, s’habitue à cette rythmique étrange et même y trouve un charme indéfinissable, ce qu’on pourrait appeler un plaisir en retour, cette déception agréable qui suit l’art de différer la sensation attendue. Ajoutez à cette harmonie originale des procédés techniques qui en accusent la séduction, comme l’enchevêtrement des rimes masculines et féminines, des allitérations et des assonances au milieu du vers, revenant comme le leit-motiv de la musique allemande, l’utilisation d’une forme fixe à une destination nouvelle [1], et l’on saisira combien la métrique de Verlaine échappe à toute espèce de codification. On peut en signaler les curiosités, il est impossible d’en fixer les règles. Une seule loi domine sa rythmique : assouplir l’enveloppe métrique pour la rendre susceptible d’exprimer l’intimité de l’âme humaine jusque dans ses plus délicates nuances ; obliger l’instrument d’expression poétique à suivre le chanteur et non imposer au poète le carcan des formes fixes et des mètres pétrifiés.

La même loi commande à la syntaxe de Verlaine. Sa phrase est complètement désarticulée, désossée. Tantôt molle et alanguie jusqu’à la déliquescence, elle figure un bavardage délicieux d’attendrissement ou de préciosité. Tantôt violente et superbe, elle traduit avec énergie les indignations du poète ou ses élans de mysticisme. Ce que Verlaine cherche surtout, ce n’est pas la phrase brillante, métallique, parfaitement équilibrée, c’est, au contraire, la phrase simple, aussi voisine que possible du langage varié et toujours pittoresque de la conversation :

  1. Cf. le dialogue avec Dieu, dans Sagesse, qui n’est qu’une suite de Variations sur le sonnet.