Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
VERLAINE


Lui aussi essaie d’assouplir le vers, de le libérer des chaînes de fer qui l’entravent, mais il ne prétend qu’émouvoir l’équilibre d’un nombre ayant deux rythmes seulement, et il reste dans ce nombre. Lorsqu’il se risque par fantaisie à faire ce vers de 17 pieds :

Je prendrai l’oiseau léger, laissant le lourd crapaud dans sa piscine[1],


il explique de suite à Moréas que sa fantaisie n’est qu’une fantaisie de forme typographique, sans plus.

Mon vers n’est pas de dix-sept pieds,
Il est de deux vers bien divers,
Un de sept, un de dix. Riez
Du distinguo. C’est bon rire[2].


Le pousse-t-on un peu sur cette question épineuse, a-t-on lair de vouloir lui faire absoudre toutes les singularités de ses disciples, il se fâche et déclare net à propos des nouveautés symbolistes : « Où sont-elles les nouveautés ? Est-ce que Rimbaud — et je ne l’en félicite pas — n’a pas fait tout cela avant eux ? Et même Krysinska ? Moi aussi, parbleu, je me suis amusé à faire des blagues dans le temps. Mais enfin je n’ai pas la prétention de les imposer en évangile. Certes je ne regrette pas mes vers de quatorze pieds, j’ai élargi la discipline du vers et cela est bon ; mais je ne l’ai pas supprimée. Pour qu’il y ait vers, il faut qu’il y ait rythme. A présent on fait des vers à mille pattes. Ça n’est plus des vers, c’est de la prose, quelquefois même ce n’est que du charabia. Et surtout ça n’est pas français, non, ça n’est pas français. On appelle ça des vers rythmiques. Mais nous ne sommes ni des Latins, ni des Grecs, nous autres ; nous sommes des Français, sacré nom de Dieu [3]. »

Sans doute il reconnaît que le vers français, tel que nous

  1. Épigrammes, III, 1.
  2. Épigrammes, IV, 1.
  3. J. Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, p. 69.