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VERLAINE

mais la photographie de la nature n’est pas tout l’art. Le naturalisme est l’ennemi du rêve. Il faut redouter « nos subtils, nos pittoresques, mais étroits et plus qu’étroits, étriqués naturalistes [1] ». Ce n’est pas que lui-même les ait tous en horreur. Il a fait jadis plus d’un soir le coup de poing pour les Goncourt [2], mais l’écriture artiste des gentilshommes de la littérature et leurs travaux sur les artistes du xviiie siècle dépassaient de beaucoup la platitude et la vulgarité des élèves de Zola. Il leur préfère certes les Parnassiens, chez lesquels le souci d’art excuse au moins le manque de sincérité. Les impeccables d’ailleurs sont loin d’être tous ses amis : il les confond souvent avec la troupe des bourgeois prétentieux et totalement inconnus : « Les impeccables, écrit-il, ce sont tels et tels. Du bois, du Bois et encore du bois. » Mais il en est au Parnasse qui méritent de justes louanges : « C’est Banville, clown étonnant, qui reste ange en faisant la bête [3]. » C’est Mendès dont un vers sera pour lui « la colombe de l’arche [4] ». C’est enfin et par-dessus tous Baudelaire, trouveur « de comparaisons superbes en surcharge [5] », dont il compare les vers étranges, « aux étranges vers que ferait un marquis de Sade discret, qui saurait la langue des anges [6] ».

Cette langue des anges qui lui semble une des fins les plus précises de la poésie, va le rendre très sévère pour les disciples égarés de Baudelaire, pour les décadents et les symbolistes. A première vue, rien ne paraît plus étrange d’entendre Verlaine condamner l’école dont il fut longtemps regardé comme le chef. Cependant, il nie énergiquement avoir jamais eu une école et surtout une école décadente [7].

  1. Poètes maudits, p. 18.
  2. Epigrammes, XX.
  3. Epigrammes, XXVI.
  4. Epigrammes, XXVII.
  5. Invectives, XLV.
  6. Epigrammes, XXVIII.
  7. Les Hommes d’aujourd’hui, p. 303.