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LES CHAPERONS DU SYMBOLISME

d’Odilon Redon, une ébauche désordonnée, un christ de Theocopuli.

Mais c’est surtout en littérature qu’Huysmans se plaît à constater les sympathies et les antipathies de son héros. Des Esseintes médite dans un cabinet de travail orange et bleu dont les murs sont tapissés par des ouvrages latins de la décadence. Le jeune homme n’éprouve pour Virgile qu’une admiration des plus modérées. Il ressent une attirance très discrète pour Ovide, mais un dégoût profond pour les grâces éléphantines d’Horace, Salluste, Tite-Live, Sénèque, Suétone, Tacite, Juvénal, Perse le laissent froid. Il néglige Tibulle, Properce, Quintilien, les Pline, Stace, Martial de Bilbilis, Térence et Plante. Il commence à s’intéresser à la langue latine avec Lucain. Il aime vraiment Pétrone, parce qu’il rapporte les mœurs de la décadence romaine et qu’il peint la décomposition de l’empire. Il enjambe les Nuits attiques d’Aulu-Gelle. Il se réjouit aux Métamorphoses d’Apulée. Curieux du style de Tertullien, il méprise ses œuvres de théologie pour entr’ouvrir son De Cultu feminarum. Commodien de Gaza représente dans sa bibliothèque l’art de l’an III. Le ve siècle est figuré par Augustin, évêque d’Hippone. Viennent ensuite Marius Victor avec son ténébreux traité sur la perversité des mœurs et d’une façon générale « tous ces ouvrages où la langue latine pourrie pendait, perdant ses membres, coulant son pus, gardant à peine, dans toute la corruption de son corps, quelques parties fermes que les chrétiens détachaient afin de les mariner dans la saumure de leur nouvelle langue ». Après le viie siècle, il y avait dans la bibliothèque de des Essinntes un saut formidable de siècles. Les livres arrivaient directement à la langue du présent âge.

Or, ici, son auteur favori, c’est Baudelaire. Il le lit dans des éditions extraordinaires et tirées uniquement pour son usage. Baudelaire lui semble le poète de ses propres états d’âme. De là la raison de son culte. Il l’aime parce que tout