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LES CHAPERONS DU SYMBOLISME

gnani’s Messenger, grand bazar où il passe en revue quantité d’articles anglais de tous les sexes et de tous les genres. Ayant ainsi éprouvé et vu ce qu’il voulait éprouver et voir dans son voyage réel, il rentre à Fontenay. Dans sa bibliothèque, avec un goût rajeuni par cette épreuve, il se livre à une orgie de lecture. Son estomac lui refuse bientôt tout service. Des Esseintes est atteint d’une anémie qui menace mort ; il achète un sustenteur et sa névrose stationne. Il reprend ses débauches de lectures. Mais sa dyspepsie nerveuse s’exagère. Rongé par une fièvre ardente, des Esseintes est assailli par des hallucinations nouvelles. Il entend dans ses oreilles les chants appris dans son enfance chez les Pères Jésuites. Sa maladie fait des progrès mortels, son médecin ne le nourrit plus qu’avec des lavements au peptone. Il en prend trois en vingt-quatre heures. Et des Esseintes philosophe à sa manière sur ces nécessités pathologiques. Il se réjouit en pensant que dans l’avenir l’alimentation pourrait se réduire à ces gestes à la fois simples et rapides : « On dresserait le couvert en déposant le magistral instrument sur la nappe et alors le temps de réciter le Benedicite et l’on aurait supprimé l’ennuyeuse et vulgaire corvée du repas. » Comme on lui change la formule de ces lavements, il s’intéresse à cette cuisine d’un nouveau genre. Il rédige dans cet esprit des recettes inédites, préparant des dîners maigres pour le vendredi, tout un vademecum hilarant de la ménagère future ! Cependant des soins assidus le ramènent à la santé. Son médecin, que le domestique avait prévenu du genre de vie menée par son maître, lui ordonne de changer de régime s’il veut éviter la folie « compliquée de tubercules ». Des Esseintes désespéré réfléchit à la désagrégation de l’univers, à la sophistication de toutes les denrées, à la décomposition de la société dans toutes ses classes. A contre-cœur, il revient à Paris dans le faubourg Saint-Germain, si changé du reste par l’évolution démocratique et les exigences tyranniques de