Page:Barre - Le Symbolisme, 1911.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
LE SYMBOLISME ET LA PRESSE

n’ont jamais soupçonné, ni « les impollués vocables, ni la période qui s’arc-boute, alternant avec la période aux défaillances ondulées, ni le trope hardi et multiforme ». Anatole France raille agréablement Moréas du mal qu’il fait à la langue française, par excès d’amour sans aucun doute, réclame l’indulgence en faveur de Voltaire dont le théâtre n’est pas si mal écrit qu’on croit, et à ce propos reproche aux symbolistes de vouloir si bien faire qu’on ne les comprend plus. Il conseille en conclusion de revenir à la manière des Grecs dont l’art est un art d’imitation en sculpture comme en poésie, ainsi que le prouve pour cette dernière du moins l’anthologie. En admettant que l’originalité soit le premier des biens, il faut savoir qu’il y a deux originalités, celle qu’on cherche sans la trouver, celle qu’on trouve sans la chercher. La seconde est sans contredit préférable à la première. Le royaume de la poésie est du reste comme le royaume de Dieu. On n’y peut entrer qu’avec une âme simple. Le sentiment y conduit et non pas les systèmes. « Voyez Lamartine, termine Anatole France, il est le plus grand de nos poètes comme il en est le plus simple. »

11. En réponse à cet article aussi mordant que spirituel, le Symboliste du 7 au 14 octobre 1886 inséra une lettre de Jean Moréas à Anatole France. Moréas tente de s’y justifier sur certains points de critique formulée par le maître. Il réclame le droit en ce qui concerne les noms propres de l’histoire d’adopter l’une ou l’autre des orthographes admises. Il s’étonne que le doux trouvère Rutebeuf, qui a droit cependant à l’estime de tout bon poète, soit indifférent à M. Anatole France. Il persiste à trouver Vaugelas pernicieux et tyrannique. Après avoir décrété l’Alexandre de Lycophron un poème extrêmement délicieux, il défend les poètes grecs d’avoir vécu d’imitations et affirme qu’Eschyle, Sophocle, Euripide, en tous points si dissemblables, furent dans leur temps de parfaits révolutionnaires. Il ajoute qu’il ne pro-