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LE SYMBOLISME

les envelopper dans le dédaigneux silence ou les cingler de la brutale moquerie.

10. Ces conseils de modération et de tolérance dont M. Sutter-Laumann lui-même ne donnait pas partout l’exemple, ne devaient être entendus que fort tard. En attendant, les critiques vont s’en donner à plume que veux-tu, avec une férocité plus ou moins dissimulée selon que leur tempérament les incline à l’ironie ou aux injures. Au Temps, le 26 septembre 1886, Anatole France fut chargé de morigéner le symbolisme. Après avoir consciencieusement étudié le Manifeste inséré par le supplément du Figaro, le critique examine la définition que Moréas a donnée du symbolisme, définition qui ne laisse pas de lui paraître ambiguë. Il croit avoir compris qu’elle signifie simplement ceci : à l’avenir, le poète devra composer des apologues en style imagé. Après quoi il devine qu’on interdit au poète symbolique de rien décrire et de rien nommer. Il en résulte une obscurité profonde. Mais l’humanité est sans doute lasse de comprendre : il y a assez longtemps qu’on donne un sens aux mots. Il défend ensuite Théodore de Banville auquel les symbolistes reprochent d’avoir failli à son devoir d’aîné et de poète lyrique, parce qu’il n’a point chanté en leur honneur le cantique de Siméon. Il profite de l’occasion pour décocher à la nouvelle école quelques dures vérités touchant surtout sa tactique à l’égard des confrères en littérature. L’intolérance, dit-il, est le pain quotidien des petites sectes religieuses et littéraires. Il reproche en outre aux symbolistes « d’avoir une filiation extrêmement compliquée de divergences ». Après quelques remarques piquantes sur Comynes, Villon, Rutebeuf, Rabelais, M. Thiers et une assez verte leçon d’histoire littéraire, il démontre que la littérature française antérieure à 1885 n’a pas eu pour mission de préparer l’éclosion du symbolisme, pas plus d’ailleurs que Boileau et Vaugelas n’en ont retardé l’essor. Le satirique et le grammairien