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LE SYMBOLISME ET LA PRESSE

Déliquescences, y contesta seulement aux décadents leur originalité d’attitude : « Voici bientôt deux mille ans, écrit-il, que les jeunes poètes de Rome, décadents sans le savoir, se bourraient de cumin pour avoir une tête fatale et pâle. Maintenant c’est le tour de la morphine. Un nourrisson des Muses qui se respecte doit porter sur lui, au lieu de lyre, une petite seringue de Pravaz. Dans notre temps, avant la guerre, nous prenions du haschich. En prenait-on ? Je ne le jurerais pas. Du moins on faisait semblant d’en prendre. Alors comme aujourd’hui, par désir du nouveau, par horreur du plat et du convenu, on se précipitait tête baissée dans l’étrange, rêvant je ne sais quelle poésie subtile, vaporisée, quintessenciée, qui ne ressemblait à aucune autre et faite pour traduire les plus intraduisibles sensations. » Comme preuve, il déclare que lui-même, dans un de ses ouvrages daté de 1868, avait tracé le portrait d’un poète décadent, un certain Bargiban, personnage de pure fantaisie dans lequel il résumait les tendances poétiques de l’époque. Il s’empresse d’ailleurs de conclure en souhaitant aux « imaginaires décadents » une fortune aussi favorable que celle des parnassiens, dont, à cette époque déjà, Bargiban ridiculisait les vers.

2. La Justice du 19 juillet 1885 renchérit sur ces appréciations. Sous la signature de M. Sutter-Laumann, elle publia un compte rendu à la fois comique et fielleux des Déliquescences. Dès le début de son article, le critique accuse les décadents d’être incompréhensibles pour le commun des mortels et mieux de ne pas toujours se comprendre exactement entre eux. « Cela s’explique, dit-il, quand on sait que ce ne sont pas des idées qu’ils cherchent à exprimer, que leur grand désir est de rendre d’une façon toute matérielle des impressions vagues, inconnues du vulgaire et que les mots de la langue française détournés de leur acception habituelle en ont une toute autre qu’ils ont découverte grâce à de longues et pénibles recherches. » Les auteurs que le public