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LEUR INSTALLATION À PARIS

dait. La solitude, plus enivrante que l’amour ! Comme il l’a désirée ! Sa passion s’est encore irritée, depuis le collège, dans les quatre rues de Neufchâteau : maintenant il reçoit d’elle des jouissances qui dépassent son attente. Les rues, les jardins publics, sa chambre lui offrent des voluptés qui le transportent de reconnaissance. Enfin il pourra donc s’occuper de soi-même, et non plus dans le désert lorrain où ses appels ne levaient nul écho, mais dans la ville aventureuse qui suscite et parfois récompense la hardiesse.

Les méditations, les lectures, les fièvres de Sturel ne se souciaient d’aucune morale ; il se demandait seulement les moyens de s’associer à cette vie immense, étendue devant lui. — Misérable singulier ! ce n’est pas assez de dire : « Il se demandait !… » Toutes les énergies assemblées de sa jeunesse aspiraient l’air, frappaient le sol de leur pied et hennissaient comme un régiment de hussards qui attend le signal de la charge.

Le 6 janvier, un jeudi soir, la cloche du dîner le dérangea dans une lecture si intéressante qu’il la poursuivit à table d’hôte. Cela déjà parut peu convenable. En outre, chacun à l’envi commentait le grand événement : les funérailles de Gambetta… les magnificences du cortège, la perte irréparable que c’était pour la France… L’indifférence de Sturel, qui ne se détournait pas de son livre, choqua tout le monde, et madame de Coulonvaux crut devoir une réprimande maternelle à un si jeune homme :

— À votre âge, monsieur Sturel, on préfère aux questions sérieuses un roman bien amusant.