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À BOUTEILLER, LA LORRAINE RECONNAISSANTE

Henrion annonça qu’il attaquerait violemment la candidature de cet étranger : « Les commerçants de Nancy, les industriels, de Frouard à Pont-à-Mousson, et les cultivateurs de la Seille n’ont que faire d’un professeur imposé par des journalistes. » Ce double argument pouvait nuire. L’alcoolique ne voulait pas entendre raison : Bouteiller dut s’en émouvoir. Son comité étudia les moyens de réconcilier ces deux imbéciles. Lui-même enfin décida qu’on brusquerait. Ses agents firent boire Henrion toute la nuit, la veille du congrès, et quand il se présenta, ou l’expulsa, vu son ivresse manifeste. Les opposants, privés du discours qu’ils espéraient, n’osèrent bouger. L’autoritaire Bouteiller fut choisi…

Dans les élections de cette sorte, qu’on peut dire à deux degrés, toute la difficulté est devant le congrès ; Bouteiller, désigné comme candidat complémentaire de la liste républicaine unique, fut élu le 4 octobre 1885.

Suret-Lefort s’était mis pour cette campagne à la disposition de Bouteiller. De Bar-le-Duc, où il passait les vacances, il venait à Nancy pour les grandes réunions et demandait la parole, « en qualité d’ancien élève qui rend témoignage à son maître ». Trois Jours après le scrutin, c’est ce même thème qu’il développa, lors du « punch d’honneur et d’adieu. », offert sur l’initiative de la Lorraine Républicaine au député prêt à gagner son poste. La salle du gymnase municipal était pleine. Comme il arrive après un succès, on eût difficilement trouvé dans Nancy un électeur qui crût avoir voté contre l’élu. Le jeune avocat, déjà séduisant par sa jolie taille et par son