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LES DÉRACINÉS

reçu de Racadot, où l’on trouva les perles et les turquoises immortelles des princes persans, Suret-Lefort sut faire la part du feu : le petit-fils des serfs de Custines se reconnut coupable et déclara n’avoir pas eu de complice. Magnifique décision, dont l’honneur revient à son conseil, et qui témoigne chez le jeune avocat un sens des responsabilités vraiment admirable. Battu dans ses positions avancées, il se repliait en couvrant Mouchefrin. Celui-ci invoquait un alibi fort plausible : il prétendait avoir passé avec la Léontine et Fanfournot la nuit tragique du 21 au 22 mai ; d’ailleurs, il était avéré qu’aucun d’eux n’avait profité de l’argent ni des bijoux volés. On pouvait les poursuivre pour faux témoignage, puisqu’ils avaient affirmé d’abord que Racadot avait passé avec eux les heures où il assassinait ; mais la fille Léontine était excusable de ne point charger son amant, et beaucoup d’influences agissaient : ils bénéficièrent d’un non-lieu.

Dans l’action publique, Suret-Lefort demeura égal au tacticien qu’il venait de se révéler. Lui, qui avait été si raisonnaible dans ses préparations, il sut en cour d’assises faire l’énergumène tout comme un autre. N’ayant plus qu’à amuser l’opinion avec Racadot, pour la détourner de Mouchefrin, il avait bien le droit de se mettre soi-même en valeur. Il comprit qu’il devait abandonner ce qu’il tenait de Sturel, de Rœmerspacher, ce qui était la marque de ce groupe, le terme exact et modéré, pour accepter la déclamation. Il quitta la manière de ces jeunes gens qui jamais n’oubliaient de situer dans l’universel l’objet dont ils traitaient, et qui par là évitaient bien des exagérations : il accepta le pré-