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LES DÉRACINÉS

Siiret-Lefort, lui, réfléchissait :

« Me voilà chargé d’une affaire qui sera classée parmi les causes célèbres… »

Tout se préparait pour le cortège de Hugo. Chacun, avec un haut sentiment de soi-même, courait prendre le rang auquel il avait droit. Politiciens, académiciens, littérateurs, artistes de tous genres, industriels, commerçants, ouvriers apportaient leur vanité naïve pour contribuer à l’apothéose. Des insignes corporatifs respectables et d’autres, un peu grotesques, affirmaient que tous les petits groupements d’intérêts ont pour raison commune et supérieure l’intérêt de la patrie. Cet immense désordre peu à peu s’organisa, manifesta la grande pensée du pays : « Il ne nous quitte pas ; il fera partie des réserves de la pensée française. Nous le conduisons dans le quartier des savants, des éducateurs, des jeunes gens. »

À midi moins le quart, vingt et un coups de canon retentirent sur Paris. À l’Étoile, les discours commencèrent, infectés d’esprit partisan et vaniteux et se traînant à terre, alors qu’il eût fallu unifier la France et la soulever pour que courageusement, en ce jour de gloire et de deuil, elle mesurât le terrain qu’elle est en train de perdre dans les manœuvres générales de l’humanité. Cependant, le char des pauvres, où se croisaient sur un drap noir deux lauriers, avec l’éclat le plus imposant s’engagea sur la pente des Champs-Elysées. L’antithèse ne laissa aucun visage insensible ; d’une extrémité à l’autre des Champs-Elysées se produisit un mouvement colossal, un souffle de tempête ; derrière l’humble