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LE LYCÉE DE NANCY

annonciatrices de Macbeth dansent, pour les jeunes gens imaginatifs, sur les préaux de tous les lycées. C’est au collège Bourbon que Taine fit la connaissance de Prévost-Paradol, avec qui il développa sa vie morale ; de Planat, le futur Marcelin de la Vie parisienne, qui lui donna des lueurs sur le monde des artistes et sur la vie élégante ; de Cornélis de Witt, passionné de la langue et de la littérature anglaise, et qui l’introduisit chez M. Guizot. C’est à l’École normale qu’il forma société avec About, Sarcey, Libert, Suckau, Albert, Merlet, Ordinaire.

Balzac a inventé treize hommes qui, vers 1828, auraient juré de se soutenir dans toute occasion et dont la puissance occulte aurait bravé avec succès l’ordre social. Cette imagination de romancier n’est pas absurde. La société tout entière doit appartenir à des gens distingués qui, à leur esprit naturel, à leurs lumières acquises, à leur fortune joignent un fanatisme assez chaud pour fondre en un seul jet ces différentes forces. Balzac, pour nous passionner plus sûrement, suppose qu’une de ces ententes fut volontaire. Le plus souvent elles naissent sans paroles échangées, d’un intérêt commun. On vit les amis de Victor Hugo, vers 1830, se lier par un pacte de ce genre sur son génie ; les partisans du prince-président, par un pacte sur son nom retentissant ; les familiers de Gambetta, par un pacte sur un grand sentiment populaire.

Que rêvent-ils, ces Lorrains-ci, jeunes gens de toute classe, grossiers et délicats mêlés ? M. Bouteiller est venu, l’ami de Gambetta, démocrate délégué par ceux qui se proposent d’organiser la démocratie, de fortifier et de créer le lien social. Il leur a