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LES PERPLEXITÉS DE FRANÇOIS STUREL

Mais on entendit une voix perçante, qui criait :

— Continuez, monsieur Racadot ! Les imbéciles, les réactionnaires n’ont qu’à sortir !

Chacun chercha d’où venait cette voix, et on découvrit l’enfant Fanfournot, chétif et hérissé. L’amusement redoubla. En somme, de ces jeunes bourgeois, nul ne s’irritait, parce que c’eût été accorder du sérieux à l’orateur à qui déjà l’on donnait l’aumône. De son air provocant, Racadot put ainsi, au milieu de protestations modérées, exposer des idées évidemment antipathiques ; avec des dons oratoires, il n’avait aucune habitude de la parole ; au lieu de conquérir cette petite assemblée, il appliquait tout son effort à s’affirmer en face d’elle, à s’isoler. Il exprima d’abord son mépris pour Victor Hugo.

— Ce personnage a vainement outragé tous les dogmes : il a gardé intacte leur doctrine et nous a traduit en métaphores accumulées des sermons de curé. Il y a pour chacun de nous une nécessité absolue à persister dans l’existence. Voilà « le devoir » — laissons cette expression équivoque et surannée, — voilà l’instinct que la nature dépose en nous et l’exemple qu’elle nous donne. Comment le « contemplateur » n’a-t-il pas vu cela : que chacun, minéral, végétal, animal, se comporte comme si sa propre durée était l’unique objet de la vie universelle, comme si tous les autres n’étaient que des moyens ? Vivre aux dépens d’autrui et par tous les moyens, tel est l’enseignement de la nature. À « fraternité », mot vide et mensonger, il faut substituer « parasitisme ». C’est à chanter ce mot que Hugo, s’il n’avait été prisonnier des vieux dogmes qu’il affectait d’outrager, aurait dû se consacrer. Eh transportant cette formule