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LES DÉRACINÉS

vais vivre à Custines, je serai bien aise devant les voisins d’avoir de la terre. »

Sur la vaste table de bois blanc gisent en désordre dans la poussière les encriers, le papier-copie, les buvards, tout le petit matériel que d’ordinaire la Léontine préparait pour ces messieurs. Maintenant on n’a que faire de rédacteurs : la Vraie République n’est plus qu’un titre. Enfin, d’un jour à l’autre, une opération heureuse peut se présenter ; et, d’ailleurs, il s’agit seulement d’attendre, Bouteiller a semblé le dire, la période électorale qui vers juillet probablement s’ouvrira.

Mais voici que l’imprimeur, propriétaire de l’appartement, veut parler à Racadot. Durement exploité, il n’est pas disposé aujourd’hui à s’attendrir.

— Je vous logeais pour vous imprimer. Vous ne m’employez plus ! Il faut déguerpir.

Racadot poliment le supplie, et, ce qui vaut mieux, lui jure qu’il attend de l’argent : sous peu la Vraie République reparaîtra avec un essor nouveau. L’autre consent à patienter deux jours, — jusqu’au 17.

Alors, celui qui lui loue le journal intervient. Avec les sentiments d’un propriétaire qui veut que son locataire occupe d’une façon décente son immeuble, il prétend que Racadot nuit à la Vraie République en cessant d’assurer « une rédaction selon les usages ». Les clauses du contrat n’étant pas remplies, il entend rentrer de droit dans sa propriété. Racadot, qui pourrait plaider, préfère supplier. Cependant l’administrateur, certain que le journal va lui revenir, et qui veut prendre ses dispo-