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LES DÉRACINÉS

conseiller l’École normale : vous deviendriez un de ces esprits distingués, agiles et fins comme il s’en forma autour de Weiss, d’About, d’Assollant. Mais la tâche pressante, la tâche si grave des éducateurs modernes, former une génération républicaine ! selon moi ne veut pas de brillant : c’est un luxe de vainqueurs… En revanche, vous ferez un excellent magistrat. Il existe chez ces messieurs une tradition de culture agréable que la République aurait tort de laisser perdre : le magistrat, désigné comme le soldat pour servir l’organisation sociale sans la juger, a droit à distraire son esprit. Vous avez de la fortune, je crois ; avec votre éducation, votre parfaite honorabilité de famille, vous ferez un excellent magistrat, et si, comme il est probable, vous avez quelque don de parole, vous fournirez aisément une belle et utile carrière.

« Vous, monsieur Gallant de Saint-Phlin, — toute la classe tomba en arrêt, prête à rire, — vous devriez entrer à Saint-Cyr.

Gallant de Saint-Phlin répondit avec naïveté :

— Ma grand’mère ne veut pas.

M. Bouteiller sourit ; il fit un geste qui signifiait : « Oh ! vous m’en direz tant, petit garçon !… » Et sur tous les bancs les élèves se balançaient de joie. Bouteiller les calma.

— Dès lors, monsieur Gallant de Saint-Phlin, ce que vous avez de mieux à faire s’indique, c’est de soigner vos propriétés. Il faudra venir de temps en temps à Paris, ne pas trop perdre de vue la société moderne, ses conditions nouvelles, ses droits absolus sur nous tous. J’aurais voulu pour vous Saint-Cyr ; cela vous eût un peu assagi, réglé, accoutumé à une