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LES DÉRACINÉS

clinerai devant ses convenances, car, qui suis-je ? Un galant homme pour qui le baccara a été sévère, mais, vive Dieu !… un galant homme !

Sturel, touché des affres de Racadot, craignit le ridicule d’être moraliste à l’heure du cigare.

— En avez-vous seulement, des affaires ? Nous disputons sur les nuances du poil de l’ours.

— Mon cher ami, dit Renaudin, exposez à M. Sturel une affaire que vous ayez en vue dans ce moment-ci.

— Eh bien ! voilà ! — il baissait la voix. — Je sais une histoire de mœurs qui va venir devant le tribunal, où sont compromis un commerçant et un avocat. Dans une note, nous citons l’avocat qui n’a pas le sou, puis nous annonçons une enquête pour connaître le nom du gros commerçant. Sous prétexte d’interview, je passe chez lui, et, pour qu’on se taise, il allonge la forte somme.

Ayant dit, il regarda son monde avec contentement.

— Suffit ! — s’écria Sturel, qui rassemblait son chapeau, sa canne, ses gants, payait, se levait, décampait.

— Soit ! — fit l’homme, blessé, — mais je ne réponds même pas qu’on puisse réussir l’affaire avec la Vraie République.

Renaudin accompagna Sturel, qui lui dit :

— Tout cela me déplaît.

Il lui répondait, comme à un enfant nerveux :

— Je vois bien ce qui t’inquiète. Le bonhomme est un peu à surveiller. Mais c’est un honnête garçon : tu lui expliquerais ton système, il s’y conformerait.

Sturel, en écoutant la plaidoirie de son compagnon