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LES DÉRACINÉS

était resté en Lorraine, de sa vie, il n’aurait vu de souliers si vernis, ni un chapeau si miroitant. Dans toutes les manières de ce convive providentiel, quand il saluait, — comme sur le terrain, — quand il s’excusait et vous cédait la parole, quand il parlait d’argent, — avec dédain et toujours par louis, — on reconnaissait un homme susceptible, voire pointilleux, un homme d’honneur, enfin. Il n’avait de douteux que le linge et le regard.

À ce dîner, comme par hasard, Renaudin assista.

— Voilà monsieur Renaudin, — disait le gentilhomme, — qui est très sérieux et qui pourra vous dire avec moi que tous les journaux vivent de la publicité.

— Mais quelle publicité et quelles affaires ?

Racadot, qui bout quand on boude contre son ventre, réplique :

— Une affaire, s’entend, est bonne, si elle rapporte de l’argent.

La figure de Sturel s’attrista. Et il commençait de regarder les dîneurs voisins, trouvant que ses convives parlaient bien haut.

— Permettez, dit l’homme. Je devine monsieur. Je vois bien qu’il ne lui conviendrait pas de faire n’importe quelle affaire. Pour un commerçant, cela n’a pas d’importance ; mais pour M. Sturel, qui se destine sans doute à la vie politique, il y a des inconvénients, parce qu’on peut, en période électorale, mal interpréter un rien.

— Dame ! — jette Racadot, décidément invité à la franchise par la truite sauce verte, — c’est certain qu’il y a des inconvénients. Mais c’est bon aussi de gagner de l’argent.