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« LA VRAIE RÉPUBLIQUE »

— Tout cela, c’est du batelage. Il fallait mettre votre journal à sa disposition.

Ils se récrièrent. Bouteiller serait un hypocrite, un pharisien I L’explication leur déplut.

— Non, disait Rœmerspacher. C’est un philosophe qui croit posséder la vérité… Mais enfin, j’ai causé avec M. Taine. Celui-là autant qu’un Bouteiller, honore et sert la vérité. Il n’a pas prétendu me soumettre, ni m’entraver ! Que Bouteiller ait accordé les principes de sa philosophie avec les dispositions de nos lois et la pratique de son gouvernement, cela lui crée-t-il le droit de nous interdire la recherche de notre vérité propre ? Le dogmatisme est permis seulement à qui se réclame d’un principe que la raison n’est pas compétente à discuter, d’un principe religieux. Pour que ce soit « notre devoir », comme il disait et répétait, de servir un parti, il faut qu’il nous montre le lien de ces individus et de leur doctrine à un principe que nous acceptions. Ce n’est pas assez que ces amis affichent des certitudes économiques, financières, militaires, etc. : pour justifier de telles exigences, leur système social devrait satisfaire non seulement l’ordre matériel, mais encore les aspirations, les idéals… C’est cela, Bouteiller ne serait compréhensible et légitime que si sa politique découlait d’un principe religieux. Vous comprenez bien ce que j’entends par religion : une certitude affirmée en commun.

Suret-Lefort, à part soi, trouvait que, dans leur visite, ses amis s’étaient perdus en susceptibilités enfantines : il se félicitait de ne pas les avoir accompagnés. La conversation lui paraissait fastidieuse ;